Deux Syriens, sur la route périlleuse de l’Europe, maintiennent le contact par WhatsApp avec leurs proches restés au pays. Sous le titre « Enterre moi mon amour », cette relation épistolaire, à l’origine publiée dans "le Monde", est aujourd’hui astucieusement adaptée au théâtre par une quasi inconnue, Clea Petrolesi. Non ce n’est pas un spectacle de plus qui, témoignages à l’appui, raconte le voyage périlleux des migrants fuyant leur pays, la Syrie, pour gagner l’Europe qui ne les accueille pas vraiment les bras ouverts. On ne compte plus ces spectacles, rarement avares en cœurs saignants, larmes poignantes et tombereaux de pathos. Rien de tel. Enterre-moi mon amour parle bien des aléas d’un voyage de la Syrie vers l’Europe, mais c’est plutôt, un spectacle de moins. Un spectacle comme intérieur, comme retourné contre lui-même, un infra spectacle pourrait-on dire, où, poussant la logique de son propos jusqu’au bout, la metteuse en scène Clea Petrolesi fait souvent jouer ses acteurs de dos ou dans la pénombre. Clin d’œil à ces témoins bien réels dont parle le spectacle qui veulent rester sans nom et visage pour ne pas mettre en danger leurs proches restés là-bas. En décembre 2015, Clea Petrolesi lit dans les grands formats du journal le Monde le reportage de Lucie Soullier titré Le voyage d’une migrante syrienne à travers son fil WhatsApp. Plusieurs centaines de messages écrits et des photos. La journaliste présente ainsi son reportage : « Dash et Kholio ont quitté Damas samedi 19 septembre. Direction l'Europe. Kholio laisse derrière lui sa femme, Mimoty, qui est également la petite sœur de Dash. Cette odyssée, ils lui en feront partager minute par minute les doutes et les avancées, avec le service de messagerie WhatsApp. Un journal de bord également suivi par la mère de Dash, Mön, sa grande sœur, « Lou£ou », et des amis, notamment Khaled (« 5aled »), Nawar, Haya et Alia. L’objectif : atteindre l’Allemagne et y retrouver Nash, le frère de Dash. » La publication s’en tient à un choix de messages WattSapp, une centaine. Sur scène, une comédienne (Loup Balthazar) et un comédien (Benoît Lahoz), égrènent ces noms, chacun, outre ceux des deux voyageurs encapuchonnés, en investissant plusieurs. Deux écrans sur les côtés et au milieu une trouée noire. Sur les écrans, les captures de messages whatApp mais aussi le travail photo effectué comme en direct par Caroline Gervay tandis que Benoît Lahoz assure le travail de vidéo live. Les dialogues, pour l’essentiel sont ceux des conversations à distance whatsApp entre Dash et son beau-frère Kholio (ceux qui sont partis) et ceux qui sont restés (famille, amis) , dans une sorte de reconstitution de cette situation évolutive et trouée. Ceux qui font le voyage à leurs risques et péril restent les maîtres du jeu pour dire ou taire ce qu’ils vivent. En marge et en off, la voix de la journaliste commentant les épisodes du voyage, éclairant certains propos et parfois se mêlant à eux. Images, messages, vidéos et présences scéniques plus ou moins furtives orchestrés par la metteuse en scène Clea Petrolesi s’enchaînent et nous enchaînent à ce récit, comme si l’on entrait par effraction douce dans le voyage et dans ce groupe WhatsApp. Fille de parents d’origine sicilienne, Clea Petrolesi a grandi à Antibes et tout son travail au sein de la compagnie Amonine ( on y va ! en sicilien) qu’elle a créée fin 2014 tourne autour de la Méditerranée et de l’exil. Après un premier travail à Beyrouth, voici sa première et surprenante mise en scène dans l’hexagone. Prometteuse. Ah j’oubliais, le titre du spectacle Enterre-moi mon amour est la traduction approximative d’une expression arabe : « je t’aime, donc je veux mourir avant toi ». Elle apparaît dans la conversation whatsApp entre la fille Dash et sa mère Mön.